« Ressortissants égyptiens » : un prêtre de Chambéry écrit à Hollande
Le Salon Beige a déniché hier,
un document tout à fait épatant.
C’est la “lettre ouverte” d’un simple
prêtre savoyard au Président de la République, datée du 18 février. Il s’agit du Père Jean-Claude Brunetti, prêtre du Prado – l’œuvre magnifique fondée à Lyon par le Père Antoine Chevrier
en 1866 –, et incardiné dans le diocèse de Chambéry (Savoie).
Il y
aurait sans doute sur certains points de ce cri du cœur et de la raison,
quelque débat fraternel à entamer avec l’épistolier, mais, dans
l’ensemble ce texte sonne juste. Il est révélateur du malaise croissant
que l’Église catholique éprouve devant un État qui prétend ne
privilégier aucun culte mais qui en préfère certains à d’autres, et qui
se glorifie d’avoir inventé une laïcité, dite “à la française” –
“exception culturelle” sans équivalent dans les autres pays occidentaux
de tradition chrétienne – laquelle se révèle être, en fait, une machine
de guerre contre les christianisme et les chrétiens.
Le communiqué de l’Élysée sur les « ressortissants égyptiens », que je n’ai pas craint de qualifier de scandaleux – d’autres le considérant comme honteux
–, est peut-être la goutte qui a fait déborder le vase… La longanimité
catholique a quand même ses limites. On peut estimer qu’aujourd’hui
elles sont dépassées.
Monsieur le Président de la République,
considérez-vous que les chrétiens de France soient des membres à part entière de la République ?Je ne vous écris pas dans un esprit de revendication, ma lettre est simplement l’expression d’une déception et d’une peine sincère, celle de me sentir en tant que membre d’une institution et en tant que personne particulière, non reconnu et pratiquement méprisé par les responsables de mon pays.
Ces derniers temps vous avez souvent parlé de « nos compatriotes musulmans », des « juifs de France », pour lesquels vous avez multiplié les gestes de solidarité et vous avez eu entièrement raison, compte tenu des événements tragiques des 7 au 9 janvier.
Deux personnes qui se reconnaissaient dans le christianisme ont perdu la vie dans ces événements. On a peu parlé d’elles, rien d’anormal à cela, car elles n’ont pas été tuées en raison de leur religion, elles assuraient simplement la sécurité des autres…Mais, lorsque 21 coptes d’Égypte sont assassinés en Libye, assassinat clairement défini comme une menace adressée « au peuple de la Croix, fidèle à l’Église égyptienne ennemie » et que l’Élysée parle à deux reprises de « l’assassinat sauvage de 21 ressortissants égyptiens »… cela me blesse profondément.
A Paris et à Copenhague on tue des Français ou des Danois parce qu’ils sont Juifs, mais en Libye on tue des Égyptiens…Ce parti-pris d’ignorance est vraiment le signe d’un mépris pour les chrétiens, c’est du moins comme cela que je le ressens, Monsieur le Président.
Car il y a plein d’autres choses qui me blessent : Quand, par exemple, vous dites que « l’islamoterrorisme », comme l’appelle votre Premier Ministre [le Premier Ministre a, en fait, utilisé l’expression « islamo-fascisme » sur RTL le 16 février], est d’abord dirigé contre les musulmans modérés, c’est vrai que des musulmans sont victimes de DAECH, mais le « d’abord » est sans doute un peu fort, il ne faut pas oublier que, de par le monde, le christianisme est la religion la plus persécutée (très souvent par les tenants d’un islam sinon terroriste, du moins fondamentaliste), comme le souligne l’étude documentée récemment parue aux Éditions XO, intitulée Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde.
Je rappelle, à ce sujet, que la France avait “généreusement” promis d’accueillir 500 chrétiens de Syrie, choisis dans la marée des réfugiés. Il me semble que nous ayons des difficultés à remplir le contrat, dites-moi si je me trompe…Il est souvent question des dégradations de mosquées ou de synagogues, ce qui est déplorable, bien évidemment, mais le fait que l’évêque de l’Ain ait été amené à prendre la décision de laisser les tabernacles dans toutes les églises de son diocèse, vides et portes ouvertes pour dissuader les auteurs de profanations de ciboires et d’hosties, ne mérite pas qu’on en parle…
Je comprends très bien que l’institution Église ne vous attire pas spécialement, elle n’a pas toujours eu une histoire glorieuse, mais c’est le propre de toute institution, en connaissez-vous une de parfaite ? La République elle-même n’a-t-elle pas quelques cadavres dans ses placards ? Est-ce une raison pour ne pas l’aimer, pour ne pas souhaiter qu’elle s’améliore ?
Il y a aussi le fait que récemment certains chrétiens aient pu prendre des positions qui vous agacent… Que des citoyens ne pensent pas comme vous, c’est la gloire de la République et de la liberté d’expression dont vous êtes un ardent défenseur.
Seulement à ce sujet, il y a, me semble-t-il, deux libertés, celle des membres de l’intelligentsia reconnue qui peuvent se moquer de tout, c’est-à-dire ne rien respecter, et ceux qui, au nom du respect, justement, mettent un frein à leur expression. C’est-à-dire qu’il y a les “Charlie” et les autres, ceux que Charlie appelle des « cons » (je vous prie d’excuser cette licence de langage qui n’en est hélas plus une).J’ai dans les premiers jours qui ont suivi les terribles événements de début janvier défilé avec tous les autres (enfin, beaucoup !) pour manifester le refus de la barbarie par toute la nation (dont je suis membre !) mais, pour autant, la philosophie de Charlie, bien sympathique à beaucoup d’égard, me paraît trop hexagonale et, pour être précis, bien trop “bobo parisien”, pour être la mienne !
Je ne publierai pas des caricatures pour le plaisir de proclamer que je suis libre, en ne prenant pas en compte que, dans d’autres pays, (et c’était prévisible, puisque ça avait déjà eu lieu) d’autres paieraient de leur vie ma liberté.Il est vrai que ce n’étaient que des chrétiens nigériens… enfin, des “ressortissants nigériens” comme ont dû dire vos services… et puis quelques églises qui ont brûlé, rien à voir, circulez.
Ma lettre est sans doute plus marquée d’amertume que je ne l’aurais voulu en commençant, et peut-être, bien que je m’en défende, ma vision est-elle un peu déformée. J’espère cependant ne pas avoir été injuste envers vous.
J’ai simplement voulu vous dire, en tant que citoyen d’un pays que j’aime au moins autant que vous, combien votre humanisme rétréci et votre laïcité à géométrie variable me déçoivent.
Je vous conserve le respect dû à vos fonctions, cette lettre en est d’ailleurs un signe. Je vous souhaite la meilleure fin de mandat possible.
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