LAMARTINE EN SAVOIE
ou
LA Défense de notre héritage littéraire
Lamartine séjourne longtemps en SAVOIE.
Car homme de plume, il aimait les mots et il a écrit ceci: "En SAVOYA les gens parlent un français excellent, plus perfectionné qu'à Paris".
¡Oh tiempo, deja ya de volar! ¡ Y vos, horas propicias
suspended vuestro andar.
¡Y dejadnos de las breves delicias
de estos días tan bellos gozar!
Lamartine (1790 – 186)
Défense de notre héritage littéraire
“Fabrice Luchini n'est pas professeur, le Théâtre des Mathurins n'est pas une salle de classe, mais toutes les générations viennent y chercher ce que le pédagogisme s'acharne à enfouir et peut-être même à détruire : leur héritage !”
Fabrice Luchini et le bateau ivre de l'Éducation nationale, vus par Vincent Tremolet de Villers *
Pendant que nos gouvernants dépouillent les programmes des grands
auteurs, Fabrice Luchini fait un triomphe au théâtre des Mathurins en disant
Rimbaud, Baudelaire, Proust et Labiche.
Entre un spectacle
d'improvisation et une baignade dans un « milieu aquatique standardisé » Manuel
Valls et Najat Vallaud-Belkacem devraient aller faire un tour au Théâtre des
Mathurins. Depuis des semaines, chaque soir plus de quatre cents personnes se
pressent pour entendre un homme seul en scène dire Rimbaud et Labiche, Céline et
Proust. Les réservations sont closes jusqu'au mois d'octobre et les demandes de
prolongation se succèdent. S'ils parviennent à éteindre leur iPhone, à s'asseoir
pendant deux heures, ils écouteront un ancien garçon coiffeur qui, par les mots,
déploie des paysages, écrit des silences, fixe des vertiges. Fabrice
Luchini leur rappellera qu'il a quitté l'école à 14 ans mais que l'aventure de
son existence est née d'une découverte: une langue plus vive que le courant
d'une onde pure. La Fontaine, Baudelaire, Pascal, Cioran et une pléiade
innombrable ont aiguisé son esprit, nourri sa méditation, et fécondé une passion
dévorante. Depuis il a fait sienne la maxime de Molière: « plaire et instruire
».
Dira-t-il que c'était mieux avant ? C'est tout le contraire. Le
spectacle commence par une charge de Paul Valéry (nous sommes dans les années
1930) contre l'école qui force les enfants à ânonner Racine en se débarrassant
de ce qui en fait la beauté : les assonances, le rythme, la chair du verbe.
Valéry cependant ne conseille pas de remplacer les humanités par
l'interdisciplinarité ou les travaux en groupe sur le tri sélectif et le
développement durable. Il plaide plutôt pour une véritable éducation au goût,
aux nuances, à la beauté. Ce trésor mal exploité par nos anciens prend
désormais la poussière dans les caves du ministère. En troisième, les programmes
de lecture piochent dans les rentrées littéraires les plus récentes, et l'étude
approfondie de Bajazet
sera bientôt considérée comme humiliante pour l'élément en voie d'apprentissage,
cette chose fragile que nous appelions autrefois l'élève. Les disciples de
Bourdieu verront dans le succès de Fabrice Luchini une preuve supplémentaire de
la reproduction des élites.
Les tenants du «
tout est culture » refuseront malgré tout d'établir une hiérarchie entre le
savoureux « Cours… Asterixsme » de Jamel Debbouze et les Illuminations de
Rimbaud. Ceux qui, en entendant le comédien, sentiront battre en eux le cœur de
La Fontaine ou de Baudelaire, se désoleront d'un gigantesque gâchis.
Comment une succession de chefs-d'œuvre peuvent ainsi être laissés à
l'abandon ? Pourquoi refuser de les faire connaître aux Français venus
d'ailleurs à qui l'on ne donne qu'une équipe de football pour se sentir des
nôtres ? Augustin d'Humières professeur en Seine-et-Marne et auteur de
Homère et Shakespeare en banlieue (Grasset) le répète suffisamment : le génie
souffle où il veut. Dans les quartiers chics comme dans les cités. Luchini
raconte qu'il a eu l'idée de ce spectacle après avoir récité Le Bateau ivre dans
un taxi. Son chauffeur lui aurait lâché: « C'est magnifique, mais je n'ai rien
compris.» « Moi, non plus, lui a répondu le comédien, mais là n'est pas
l'important. » L'important en effet était de faire vibrer quelques minutes les
êtres et les choses. Rappeler aux hommes qu'ils ont en eux ce que les uns
nomment l'esprit, les autres l'âme. Que la culture n'est ni un ornement, ni un
snobisme, mais l'oxygène de l'intelligence et du cœur.
Manuel Valls affirme dans une interview au mensuel L'Œil, que la
culture est constitutive de la gauche. Il faudrait lui rappeler qu'elle est tout
sauf le fruit de l'improvisation. « Il n'y a pas de génération spontanée » dit
en substance Roland Barthes quand il parle des poètes. Rimbaud savait le latin
et le grec à 14 ans. Il connaissait suffisamment Hugo et Musset pour les
mépriser à 16 et jugeait à 17 Baudelaire « un peu mesquin » dans sa forme. Le
feu de son génie monte cependant de braises anciennes, celles du travail, de
l'effort, de la discipline, de la sélection. Ces vertus que Luchini a éprouvées
aux côtés de ses maîtres Jean-Laurent Cochet ou Michel Bouquet. Depuis, l'élève
est devenu l'un des leurs et donne à son tour ce qu'il a reçu. Quand il
improvise, c'est prodigieux. Il n'est pas professeur, le Théâtre des Mathurins
n'est pas une salle de classe, mais toutes les générations viennent y chercher
ce que le pédagogisme s'acharne à enfouir et peut-être même à détruire : leur
héritage. •
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Vincent Tremolet de Villers - FigarovoxVincent Tremolet de
Villers est rédacteur en chef des pages Débats/opinions du Figaro et du
FigaroVox.
Frédéric BERGER
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